Solidarité
Réponse de M. Travers à l'intervention de l'inter-organisation de soutien aux personnes exilées de Rennes
Réponse à l'intervention de l'inter-organisation de soutien aux personnes exilées de Rennes - Conseil municipal du 27 juin 2022
"Monsieur,
Après nous avoir interpelés à l'occasion de notre dernier conseil municipal, il y a un mois, vous renouvelez votre interpellation, dans les mêmes termes, sur la situation des personnes sans solution d'hébergement dans notre ville.
Il y aurait beaucoup de choses à dire pour rétablir des vérités. Marc Hervé l'a fait de manière très claire et précise le 16 mai dernier, mais manifestement cela ne vous convient pas. Alors, il me faut le redire ici.
Comment pouvez-vous prétendre que nous refusons de prendre en compte l'ampleur de ces situations de détresse, alors que notre service de mise à l'abri et les élus ici présents, tour à tour sur les permanences, sommes mobilisés au quotidien pour rechercher des solutions ? Et vous le savez pertinemment vous-mêmes puisque vous êtes dans certains de ces échanges.
Comment pouvez-vous affirmer que nous avons abandonné l'application de nos engagements pris autour des familles avec enfants à la rue ainsi que l'aide aux plus précaires, alors que nous hébergeons chaque soir 950 personnes et y consacrons, si l'on prend en compte l'hébergement et toutes les aides directes financières aux personnes exilées, plus de 6 millions d'euros chaque année ? Aucune ville ne peut revendiquer une telle action, alors comprenez mon indignation face à vos propos à notre encontre qui transmettent en outre un signal dissuasif aux villes qui ne se sont pas encore engagées comme nous et qui souhaiteraient le faire.
Comment pouvez-vous sérieusement nous reprocher de mener trop de projets immobiliers et nous dire, en même temps, qu'il manque cruellement de logements sociaux ? Marc Hervé pourrait certainement vous l'expliquer mieux que moi, mais c'est aussi par des projets immobiliers que nous pouvons répondre aux besoins d'hébergement, de logement et offrir des perspectives de parcours résidentiel. Nous le faisons, en soutenant les organismes HLM plus que dans n'importe quel autre territoire puisque nous subventionnons leurs opérations à l'équilibre, et non pas de façon forfaitaire. Dans cette période de hausse des coûts de production, nous garantissons ainsi que du logement social continue d'être produit. Et puis nous le faisons aussi en encadrant les projets privés, par des servitudes de mixité, pour que dans toutes les opérations, il y ait du logement social ou très social.
Comment enfin pouvez-vous prétendre que nos projets d'aménagement vont à l'encontre de la lutte contre le désastre écologique alors que nous avons précisément fait le choix - ce qui nous est d'ailleurs parfois reproché dans cette enceinte - d'un modèle urbain qui reconstruit la ville sur elle-même pour préserver les terres agricoles et notre ceinture verte ?
*
Ceci étant dit, je vous rejoins, vous le savez, et vais même renchérir, la situation s'agissant des personnes à la rue est dramatique. Un nombre de plus en plus important de familles se retrouvent sans solution d'hébergement dans notre ville. D'après les dernières informations dont nous disposons, issues d'un dialogue constructif avec des associations d'aide aux exilés, nous comptabilisons 78 familles sans solution d'hébergement. 78 familles ! Parmi celles-ci, la situation de 32 familles avec au moins un enfant de moins d'un an, ainsi que 8 femmes enceintes, est inédite, et particulièrement préoccupante.
Vous avez cité le cas d'une famille dont vous oubliez d'ailleurs de dire qu'elle va intégrer notre dispositif volontariste en juillet. Je voudrais de mon côté évoquer la situation d'une femme seule, avec ses cinq enfants dont un nourrisson d'un mois, vous la connaissez aussi. Rappelons qu'elle ne peut sur le fond prétendre à un hébergement au 115 du fait de l'irrégularité de sa situation, critère désormais totalement assumé par l'État comme excluant du droit à l'hébergement d'urgence. Elle a cela dit pu être hébergée par le 115 à la naissance du dernier enfant au titre de la vulnérabilité que représente cette naissance. Cet hébergement s'est arrêté au 15ème jour du nourrisson, puisqu'est retenue et tout autant assumée par l'État la limite de 15 jours à la vulnérabilité d'un enfant. Le fait qu'un autre de ses enfants soit épileptique ne rentre pas dans les critères de vulnérabilité. Je dois manifestement reprendre mes études de médecine, quelque chose a dû m'échapper. Cette famille, Madame, est hébergée à défaut de proposition stable, tour à tour par des propositions solidaires ainsi que par notre ville dans des hôtels, avec la difficulté de trouver un hébergement adapté à cette situation familiale un peu particulière. Je peux en témoigner personnellement.
Au-delà de cette famille, nous recherchons continuellement des solutions pour toutes les autres, d'abord et avant tout en rappelant constamment à l'État que l'hébergement d'urgence est de sa compétence stricte. Par ailleurs nous maintenons plus que jamais nos 950 places pour qu'à chaque place libérée une famille en attente en bénéficie, plus de 36 aujourd'hui, soient 83 enfants et 60 adultes. Nous en appelons enfin à la solidarité territoriale, et avons par exemple contacté les communes métropolitaines participant au réseau d'échange sur l'accueil des populations dans les communes. Mais nous constatons, comme vous, l'absence de solution pérenne à proposer, et le besoin toujours constant de nouvelles solutions pour de nouvelles familles. Malgré le tragique de la situation et de notre difficulté à la résoudre totalement et définitivement, j'ose le dire : nous sommes fiers d'affirmer que nous faisons tout notre possible et bien plus que d'autres. Et vos reproches répétés, qui à mon sens se trompent de cible, n'altèreront pas notre action.
Alors je veux ici poser une question au sujet de ces familles, comme de tant d'autres : sur quel texte l'État se fonde-t-il pour justifier une fin de prise en charge en raison de la situation administrative des personnes hébergées ?
Dans la mesure où le code de l'action sociale et des familles dispose que, je cite, "toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence", quels critères applique-t-il pour considérer qu'une femme seule, avec 5 enfants dont un bébé d'un mois, ne relève pas d'une situation de détresse ?
Revenons à ces situations de familles dont il nous est fait état par un nombre important de citoyens rennais, d'enseignants et de militants associatifs, familles donc dont la prise en charge par les services de l'État s'est terminée et qui se retrouvent sans solution d'hébergement, auxquelles s'ajoutent les refus de prise en charge de familles nouvellement arrivées sur le territoire.
D'après le même code, "toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée." Dans ce cas, qu'est-ce qui justifie ces fins de prise en charge par le 115?
Alors oui, comme vous, nous interpelons l'État. Madame la Maire l'a à nouveau fait par courrier officiel la semaine dernière. Mais ce courrier est resté sans réponse. À nos cris d'alerte, l'État nous répond par le silence. Il organise le désordre, persuadé que cela découragera les personnes exilées de tenter l'aventure. Il précipite des milliers de personnes dans les limbes de notre société, condamnées à se maintenir sur le territoire dans des conditions indignes dans l'espoir, réel mais faible, de pouvoir refaire une demande de papiers au titre de leur présence longue. Il les empêche d'accéder à des emplois alors même que la santé, la restauration et bien d'autres encore ne demanderaient que de les embaucher. Il ne fait en réalité que créer les conditions d'une bombe sociale, en laissant des centaines d'enfants grandir dans la rue, dans des conditions inhumaines dont je vous laisse imaginer les dégâts qu'ils feront en termes de santé physique et mentale, mais aussi de rancoeur et de difficulté à voir dans notre fameux " liberté égalité fraternité " une réalité, en tout cas pas une réalité pour eux.
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Madame, mes chers collègues,
En France, l'hébergement est un droit, encadré par la loi, et qui repose sur deux principes : l'inconditionnalité de l'accueil et la continuité de la prise en charge.
Le Défenseur des Droits a rappelé, dans une décision du 15 janvier 2020, que le fait qu'un demandeur se trouve en situation irrégulière sur le territoire français ne peut, à lui seul, justifier le rejet de sa demande d'hébergement.
L'État est hors-la-loi. Et puisqu'il ne répond pas à nos interpellations, sans doute faudra-t-il aller sur le terrain juridique pour accompagner les personnes à faire valoir leur droit à l'hébergement. Un droit fondamental, une condition sine qua non pour leur épanouissement et leur intégration.
Enfin, rappelons-le encore et encore, la vraie solution n'est pas l'augmentation sans fin de places d'hébergement volontaristes que nous proposons, mais dans la sortie d'une politique migratoire absurde, qui maintient des milliers de personnes dans la précarité et la vulnérabilité, à défaut de mise en oeuvre des OQTF ou de régularisations. Des régularisations régulières qui sont, rappelons-le là aussi, permises par le droit français et qui, outre nous mettre en accord avec nos valeurs républicaines, rendront les dispositifs d'hébergement d'urgence de l'État comme ceux que nous développons par défaut, à même de répondre à la demande et de se cantonner à l'urgence.
Je vous remercie".
David Travers, adjoint délégué à la Solidarité